Nathalie Pubellier

Ancrer dans le corps l'empreinte du mouvement

Quelques notes sur le travail de Nathalie Pubellier, par Catherine Kintzler, Professeur de philosophie à l'Université de Lille-III

L'idée de base est constante, et elle est présente aussi dans l'enseignement de Nathalie Pubellier : aller à la racine du mouvement. C'est une thèse analytique et matérialiste : trouver (inventer) l'état élémentaire d'une matière comme processus dynamique. Mais le moment le plus intéressant de cette présentation est la démonstration par trois danseurs (deux femmes, un homme) du travail sur une variation destiné à « trouver l'empreinte ». On part d'une variation qui est semblable d'un danseur à l'autre, et chacun, en éliminant les effets, l'extériorité, parvient en quelque sorte à remonter au moment producteur dont cette variation n'était qu'un épiphénomène. Le résultat de cette remontée analytique est très convaincant et très beau : j'y trouve exactement la traduction artistique du principe d'articulation entre universalité et singularité, chaque corps, chaque coloration personnelle trouve sa propre version fondamentale et le moment producteur est bien fondamentalement le même. Cette démonstration est particulièrement réussie du fait qu'elle est exécutée dans le silence et chaque spectateur est ainsi convié à effectuer ce travail de remontée vers le principe du mouvement. Le commentaire qu'en fait Nathalie Pubellier insiste sur l'articulation entre contrainte et liberté : c'est précisément parce qu'on trouve la juste contrainte de ce moment producteur que la liberté est possible. Elle insiste aussi sur l'importance du travail de répétition. La succession des répétitions permet une décantation et sépare dans le mouvement ce qui est de l'ordre de l'extériorité, de l'anecdote spectaculaire, de la recherche de l'effet et dégage le soubassement, « empreinte ». La démonstration a valeur à mes yeux d'expérimentation au sens classique du terme : elle fait le vide pour rendre à la danse ce qui lui est dû. C'est convaincant et c'est beau : le corps y retrouve son âme, son âme de corps, et passe par une forme de déréliction, il doit se désemparer de ce qui ordinairement le soutient (mais qui en réalité l'encombre et l'aveugle) pour se ré-emparer de soi-même - mais alors on découvre que le corps est un « soi-même », rien d'autre qu'un sujet.

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